Club des collectionneurs en Arts Visuels de Québec

Louise Renaud : Un phare de la Grande Noirceur s’éteint…

Journal le Devoir 23 octobre 2020 / François Lévesque.

Un phare culturel de la Grande Noirceur s’éteint.
Depuis New York, Louise Renaud, passeuse d’art et signataire de Refus global, fit rayonner l’actualité artistique mondiale jusque dans un Québec alors embourbé dans une sombre page historique.


On apprenait le décès, survenu le lundi 19 octobre dans sa résidence de Berkeley, de Louise Renaud à l’âge de 98 ans. Surtout connue pour avoir compté parmi les signataires de Refus global, manifeste artistique phare publié sous le manteau en 1948, Mme Renaud fut sa vie durant une facilitatrice et une passeuse. En cela que depuis les ÉtatsUnis, où elle résida dès la vingtaine, elle fit parvenir informations et publications interdites à ses amis artistes dans un Québec encore plongé dans la Grande Noirceur. Peintre, éclairagiste, mais également danseuse, Louise Renaud fut en outre l’épouse de Francis Kloeppel, éditeur au Musée d’art moderne de New York.
Née à Montréal le 3 août 1922 au sein d’un foyer relativement aisé — son père était dentiste —, Louise Renaud commença son parcours universitaire en 1939 à l’École des beaux-arts de Montréal. Inscrite aux cours du soir avec son amie Françoise Sullivan, future signataire de Refus global, elle fit rapidement le saut dans les classes ordinaires.
Sur place, elle rencontra Pierre Gauvreau, par l’entremise de qui elle put intégrer le cercle de Paul-Émile Borduas, dont l’atelier était alors un lieu privilégié d’échanges pour les artistes en herbe. En compagnie d’une vingtaine d’élèves de ce dernier, Louise Renaud participa, en mai 1943, à l’exposition Sagittaires, à la Dominion Gallery : un jalon dans l’histoire du mouvement automatiste.
Cette année-là, Louise Renaud partit pour New York : une démarche à l’époque audacieuse pour une jeune Québécoise, puisqu’en faux avec les diktats catholiques dominants. « Elle avait peu d’argent, mais elle étouffait, ici. Et puis, son père s’était toujours montré encourageant vis-à-vis des aspirations de ses enfants », explique Claude Gosselin, directeur général et artistique du Centre international d’art contemporain de Montréal.
Tous des créateurs dans la famille, il s’avérera, puisque Louise Renaud était la soeur de la chorégraphe Jeanne Renaud, du photographe Louis Renaud et de l’autrice Thérèse Renaud, elle aussi signataire de Refus global et épouse de Fernand Leduc.
Aux premières loges
À New York, donc, Louise Renaud envisageait de parfaire sa formation auprès du peintre Fernand Léger, mais elle se tourna plutôt vers des études en scénographie. Ce, en plus de devenir la gouvernante des enfants du célèbre marchand d’art Pierre Matisse, fils du non moins célèbre peintre Henri Matisse.
« En étant dans le giron de la maison de Pierre Matisse, elle voyait passer tous les artistes français comme Breton et Duchamp, relève Claude Gosselin. Et il faut préciser qu’elle partageait la table de Matisse et de ses amis, qui appréciaient ses connaissances en histoire de l’art, et aussi le fait qu’elle parlait français. Bref, elle faisait partie des discussions : elle me l’a elle-même confié, lors de sa dernière visite à Montréal, en 2011. »
Aux premières loges de l’actualité artistique mondiale, Louise Renaud devint une indispensable courroie de transmission pour ses pairs québécois aux prises, chez eux, avec un clergé chatouilleux et prompt aux mises à l’index.
« Il y a des gens dont on ne mesure pas l’importance de leur vivant, des gens de l’ombre dont l’apport est pourtant indispensable. Des gens qui s’assurent que les choses se passent. Louise Renaud était l’une de ces personnes. Elle est partie très tôt à New York. Elle a transmis beaucoup d’information. Françoise Sullivan me l’a confirmé ; elle était d’avis qu’on n’avait jamais accordé à Louise Renaud le crédit qui lui revenait dans tout ce qui s’est passé au niveau de la naissance des automatistes », note Claude Gosselin, qui y va d’une anecdote révélatrice de l’estime qu’on lui portait en privé.
« Borduas lui a envoyé une version de son manifeste avant la publication, afin qu’elle l’annote. J’ai copie de la lettre de Borduas, et des commentaires de Louise Renaud, sur ce qui allait être Refus global. C’est dire combien son opinion comptait à ses yeux. »
Esprit libre, Louise Renaud contribua ainsi, à distance, à l’émancipation artistique québécoise.

9 août 1948 / La publication du refus global.

Le dernier amour de Borduas.

UN PORTRAIT DES SIGNATAIRES

Madeleine Arbour
« À titre d’artiste et de consultante en design intérieur, elle participe à plusieurs émissions de télévision, notamment à Radio-Canada où elle est également animatrice d’émissions pour enfants. On lui doit des plans d’aménagement, des murales, des tapisseries (dont celle du pavillon du Québec à Osaka) ». (André-G. Bourassa, 1988)

Marcel Barbeau
« Le difficile, le compliqué qui aura un long parcours à faire avant d’atteindre la sérénité d’un équilibre plus stable, peut-être moins précieux. Émotivité intense en pleine évolution. […] Nous avons cru à l’avènement de la transmutation. Depuis Marcel continue à ne pas nous ménager les surprises». (Paul-Émile Borduas, c.1947-1948)

«Il fut certes l’automatiste le plus fougueux, et celui qui poussa l’écriture plastique frénétique le plus loin, avec Riopelle. Élève de Borduas à l’École du meuble, Barbeau fut le constant compagnon de Riopelle – leur évolution fut strictement parallèle ».


Bruno Cormier
« Dadaïsme à base de baroque et de romantisme exacerbé. … Composa du théâtre poétique inspiré. … Découvrit en même temps que Pierre [Gauvreau] les mouvements d’avant-garde.
D’abord réticent, il devint bientôt un apôtre ardent de la révolution artistique. … Avec Fernand Leduc, il étudia à fond le mouvement surréaliste – et connut Freud.
Une fois ses études de médecine terminées, il s’orienta vers la psychanalyse ».
 (Claude Gauvreau, 1950)

Marcelle Ferron
« Jadis, elle fréquenta les Beaux-Arts de Québec. […] Ses amis lui reprochaient d’imiter Borduas : elle n’avait jamais vu un tableau de Borduas, elle ignorait tout de l’automatisme. Plus tard, son intuition toujours alerte la convainquit que ce Borduas inconnu serait probablement l’homme qui pourrait l’aider. Elle l’alla trouver à son bureau de l’École du meuble. … [Il] l’encouragea, lui fit des critiques ». (Claude Gauvreau, 1950)

Claude Gauvreau
« Le héros d’une soirée inoubliable où il fut donné d’entrevoir ce que pourrait être le théâtre surrationnel. La calme et formidable assurance d’un révolutionnaire né poète et tribun. Celui de nous tous à l’activité la plus facilement justifiable, la moins dispersante ». (Paul-Émile Borduas, c.1947-1948)

Pierre Gauvreau
« Pierre le peintre-né. La peinture révolutionnaire la plus sereine qui soit. Aurore ou soleil couchant. 
Dans un coin d’ombre fraîche, je vois la danse tranquille des fantômes familiers sur un ciel de feu. C’est la détente dans l’oasis inespérée. L’ordre imprévu d’un monde neuf dans la vieillesse aigrie de celui qui nous entoure ». (Paul-Émile Borduas, c.1947-1948)


Muriel Guilbault
« [Elle] décida de devenir actrice professionnelle (à 14 ans). […] Muriel était prodigieuse dans Huis clos (Sartre lui-même qui la vit jouer et qu’elle connut voulu l’emmener avec lui en France). … Je fus celui qui l’initia au surréalisme. Elle reconnut immédiatement en elle des échos familiers – le surréalisme, sans rien connaître du mouvement historique, elle l’avait toujours vécu dans sa vie privée. En même temps, un prodigieux roman s’éveilla pour moi. Muriel fut mon grand amour ». (Claude Gauvreau, 1950)

Fernand Leduc
« Après Borduas, il fut le premier à expérimenter l’automatisme. … Travailleur laborieux, patient, il fut d’une extrême rigueur envers lui-même. S’emballa pour le surréalisme. Renia complètement le christianisme. Il fut de la rue Amherst – c’est même lui qui eut le premier l’idée de cette exposition. Son atelier fut longtemps fréquenté par les plus jeunes du groupe ». (Claude Gauvreau, 1950)

Jean-Paul Mousseau
« Le bûcheron du groupe à la brosse de porc-épic. Le plus maladroit des hommes quand il n’est pas intéressé, mais pour ce qu’il aime, le patient, le soigneux par excellence. Une poussière sur ses merveilleuses aquarelles en désorganise la beauté tant elles sont amoureusement exécutées. Fulgurantes synthèses spontanées, obtenues par l’« analyse » automatique la plus serrée. Sens impeccable de l’harmonie dans la totale absence de sens critique. Le bienheureux, l’envié ». (Paul-Émile Borduas, c.1947-1948)


Maurice Perron
« Maurice Perron étudie l’ébénisterie à l’École du meuble où il est l’élève de Borduas en même temps que Marcel Barbeau, Roger Fauteux et Jean-Paul Riopelle. Il côtoie le groupe des Automatistes durant l’hiver 1947-1948 et en devient le photographe attitré. […] Presque toutes les photos publiées dans Refus global sont de lui, de même que celle de Danse dans la neige sur une chorégraphie de Françoise Sullivan. Mythra-Mythe, la maison d’édition de Refus global, du Vierge incendié et de Projections libérantes est enregistrée à son nom. Ses photographies sont importantes non seulement par leur caractère documentaire mais par la qualité du regard qui sait saisir un geste, un éclairage, et même les effets du hasard ». (André-G. Bourassa, 1988)

Louise Renaud
« Louise Renaud fait ses études à l’École des beaux-arts de Montréal avant de partir pour New York en 1944, où elle suit des cours d’éclairage de scène […]. Elle travaille également « au pair » dans la famille de Pierre Matisse, directeur d’une galerie d’art à New York qui expose plusieurs peintres d’origine européenne. […] C’est par elle que les Automatistes découvrent les publications les plus récentes que les surréalistes font paraître à New York ».(André-G. Bourassa, 1988)

Thérèse Renaud [Leduc]
« Thérèse Renaud participe aux rencontres des Automatistes, avec ses sœurs Louise et Jeanne. Elle publie un premier poème dans le Quartier latin (13 novembre 1945, avec illustration de Mousseau). Puis un recueil, Les Sables du rêve, en 1946. Elle part pour Paris et prend contact avec les milieux artistiques d’avant-garde. Elle y épouse Fernand Leduc et contribue à organiser l’exposition « Automatisme » à la Galerie du Luxembourg en juin et juillet 1947 ». (Roger Chamberland, 1982)

Françoise Riopelle
« Françoise Riopelle (née Lespérance) étudie la danse de 1942 à 1946, période durant laquelle elle se joint au groupe des Automatistes. De 1947 à 1958, on la retrouve à Paris avec Jean-Paul Riopelle où elle travaille selon les techniques les plus avant-gardistes de la danse moderne. […] À compter de 1959, elle participe à des chorégraphies sur des musiques électroacoustiques de Pierre Mercure notamment et recourt à toutes sortes de ressources nouvelles, objets, écrans multiples, sculptures faites en performance par Armand Vaillancourt, etc. Elle est peut-être la première de nos chorégraphes post-modernes ». (André-G. Bourassa, 1988)

Jean-Paul Riopelle
« Le feu et l’eau réunis en un tourbillon insaisissable. Riopelle jeune nébuleuse dont l’orbe encercle Paris, New York, Montréal. Longtemps après son passage se fait encore sentir un reste de déplacement. Ses dernières œuvres font rêver à une nouvelle planète aux formes miraculeusement évoluées ». (Paul-Émile Borduas, c.1947-1948)

Françoise Sullivan
« Danseuse de ballet brillante, élève douée de l’École des beaux-arts, elle prit part à la révolte contre Maillard. Elle exposa aux Sagittaires. … Elle abandonna la peinture, et se consacra à la danse. … Vers la fin de la guerre, elle alla étudier à New York… Elle découvrit les disciplines modernes de danse – et son évolution fut rapide. […] Le moment crucial pour elle fut le manifeste Refus global ». (Claude Gauvreau, 1950)

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